Rivista Orizzonti del Diritto CommercialeISSN 2282-667X
G. Giappichelli Editore

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La prévisibilité et la négociabilité des sanctions en droit de la concurrence. Réflexions à partir du cas Orange et de la procédure de transaction introduite par la loi Macron (di Patrice Bougette, Hugues Bouthinon-Dumas, Frèdèric Marty)


L'efficacité économique des régles du droit de la concurrence concernant les modalités de détermination des sanctions dépend de la valeur attribuée par les entreprises la certitude de la sanction encourue, elle-mème liée é sa négociabilité.

Nous analysons d'abord la prévisibilité des sanctions et la stratégie des firmes au travers de deux affaires emblématiques de décembre 2015 concernant le groupe Orange. Selon cette mème logique de plus de prévisibilité sur le montant des sanctions, nous discutons de l'évolution récente instituée par la loi Macron du 6t 2015 qui transforme la procédure de non-contestation des griefs en une procédure de transaction. Nous détaillons, enfin, les raisons pour lesquelles les entreprises cherchent en tant que telle la prévisibilité des sanctions qu'elles encourent via une négociabilité favorisée par les nouveaux dispositifs juridiques. 

The economic efficiency of competition law rules related to the procedures for determining the level of fines depends on the value given by companies to the certainty of the penalty, which may be related to the process and modalities of the settlement procedure.

We first discuss sanction predictability and firms' strategy from two emblematic antitrust cases of December 2015 concerning French telecom operator Orange group. We then detail the French Macron Law enacted on 6 August 2015 by focusing on the enhancement of the settlement procedure that gives more predictability to the firms. Lastly, we show why companies seek for more predictability through bargaining favoured by the new legal arrangements.

Sommario/Summary:

1. Introduction. - 2. La problématique de la prévisibilité des sanctions en droit de la concurrence vue à travers le(s) cas orange. - 3. La nouvelle procédure de transaction dans le cadre de la loi Macron: plus de certitude quant au montant de la sanction. - 4. De l’intérêt de la certitude pour les opérateurs économiques. - 5. Conclusion. - NOTE


1. Introduction.

Les sanctions sont une composante essentielle pour l'effectivité et l'efficacité du droit de la concurrence. Les entreprises qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles s'exposent à des sanctions pécuniaires d'un montant qui peut être considérable[1]. Ces sommes que les entreprises sont susceptibles de débourser à la suite d'une condamnation prononcée par les autorités de concurrence, sous le contrôle des juges, servent à les priver du bénéfice de leurs agissements répréhensibles mais aussi et surtout à les dissuader de s'adonner à des pratiques portant atteinte à la concurrence sur le marché[2]. La nécessité d'assortir l'obligation de respecter l'ordre public concurrentiel de sanctions dissuasives est une idée qui s'impose avec la force de l'évidence. Cependant, celles-ci font l'objet de controverses d'autant plus vives que leur montant s'accroît. Sont-elles d'un niveau insuffisant[3] ou au contraire excessif[4] ? L'un des paramètres essentiels tient à la façon dont ces sanctions doivent être fixées. La pratique des autorités de concurrence est dans le domaine d'une remarquable complexité. En s'en tenant aux sanctions pécuniaires, c'est-à-dire sans prendre en compte les sanctions et mesures non financières que peuvent par ailleurs prononcer les autorités de la concurrence (notamment des injonctions)[5], il apparaît très délicat de bien fixer les amendes en droit de la concurrence. Une grande partie de l'attention des acteurs et des observateurs s'est concentrée sur la question du montant de la sanction. Des considérations à la fois juridiques et économiques entrent en ligne de compte[6]. Les sanctions doivent être efficaces ; elles doivent aussi être légitimes. Il faut à la fois que les sanctions soient véritablement dissuasives et qu'elles respectent des principes comme la légalité pénale, l'égalité devant la loi ou la [...]


2. La problématique de la prévisibilité des sanctions en droit de la concurrence vue à travers le(s) cas orange.

Le 17 décembre 2015, l'opérateur de télécommunications Orange fit l'objet de deux décisions en droit de la concurrence, sanctionnant des abus de position dominante, l'une venant confirmer une amende de 127 millions d'euros, l'autre prononçant une sanction pécuniaire de 350 millions d'euros. Ces deux affaires portaient sur des abus constitués par des formes d'évictions, notamment au travers de manÅ“uvres d'entraves des concurrents à l'accès à la boucle locale de cuivre (une facilité essentielle pour fournir des services ADSL) ou encore des stratégies de verrouillage des clients à travers des clauses d'exclusivité ou des remises de fidélité. Ces deux affaires concernaient cependant deux marchés bien distincts et furent traitées par deux autorités différentes. La première affaire portait sur le marché polonais de l'accès à Internet[16]. Telekom Polska, devenue dans l'intervalle Orange Polska, avait été sanctionnée à hauteur de 127 millions d'euros par la Commission européenne en juin 2011[17]. Le Tribunal de l'Union Européenne confirme cette décision et le montant de l'amende imposée. La seconde affaire portait sur le marché français des services de télécommunications (c'est-à-dire le téléphone fixe, mobile, l'Internet, les réseaux VPN) pour la clientèle non résidentielle ou professionnelle. Une sanction de 350 millions d'euros fut prononcée par l'Autorité de la concurrence[18]. Du point de vue des comportements incriminés, ces deux affaires peuvent sembler relativement classiques. Il s'agit de stratégies de protection d'une position de dominante ou d'extension de celle-ci à des marchés connexes par des opérateurs historiques dans des secteurs en cours d'ouverture à la concurrence. Ce n'est pas cet aspect qui retiendra notre attention dans cet article. Ce qui est particulièrement intéressant dans ces deux affaires, c'est la question [...]


3. La nouvelle procédure de transaction dans le cadre de la loi Macron: plus de certitude quant au montant de la sanction.

Comme mentionné précédemment,la procédure française de non-contestation des griefs s'inscrivait dans le mouvement européen de développement des procédures négociées. Ces procédures s'expliquent en grande partie par la recherche d'efficience économique, au moins en termes procéduraux. Il s'agissait d'inciter les firmes à ne pas ralentir le délai de traitement des affaires en contestant les griefs devant l'Autorité ou devant les juridictions de recours et donc de permettre au-delà du gain administratif pour celle-ci un rétablissement plus rapide des conditions d'une concurrence libre et non faussée[31]. Qui plus est, le choix d'une non-contestation des griefs permettait a priori de renforcer la sécurité juridique des décisions prises en première instance en réduisant théoriquement le risque d'appel et donc d'annulation ou de réformation de celles-ci. Cependant, la procédure française - déjà distincte de la procédure de transaction utilisée en droit européen - apparaissait comme reprenant une grande partie des défauts attribués à cette dernière en sus de limites qui lui étaient spécifiques[32]. La non-contestation des griefs a été introduite en droit français, comme la procédure de clémence utilisée pour les ententes, par la loi n° 2001-240 du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques (dite loi NRE). Les débuts de la procédure furent des plus hésitants. Elle dut être modifiée par l'ordonnance n°2008-1161 du 13 novembre 2008 qui ouvrait au rapporteur général du Conseil de la concurrence la possibilité de proposer une sanction pouvant être réduite de moitié. De nombreuses difficultés apparaissaient lorsque la non-contestation était combinée avec d'autres procédures [...]


4. De l’intérêt de la certitude pour les opérateurs économiques.

Nous considérons la question du prix que peut accepter de payer un opérateur économique pour réduire l'aléa sur le quantum de sa sanction sous l'angle de sa fonction objectif, en mettant en évidence successivement des facteurs spécifiquement économiques et ensuite des facteurs financiers et comptables. Une première question est de nature microéconomique. Il s'agit de s'interroger sur la préférence des firmes pour une sanction connue à un stade précoce de la procédure par rapport à la renonciation à l'avantage d'une sanction moindre, voire d'une absence de sanction, qui pourrait être obtenue si l'entreprise, au lieu de d'opter pour la non-contestation des griefs et le renoncement aux recours, décidait de se défendre sur le plan de la caractérisation de la pratique anticoncurrentielle et de son imputation. Il s'agit donc de s'interroger sur la capacité à abandonner des gains potentiels liés à l'exercice des droits de la défense pour bénéficier d'une sanction dont le quantum est défini plus précocement et avec le degré de certitude le plus élevé possible. La question est en fin de compte celle duprix implicite de la certitude pour les firmes. Dans un raisonnement économique, ce prix peut être apprécié en termes d' « Ã©quivalent certain » pour une firme adverse au risque. Il est possible d'interroger les résultats de l'économie comportementale ou expérimentale à ce sujet et de déterminer si certaines caractéristiques propres à la firme (part du capital flottant, niveau de dette, situation financière, etc.) peuvent exercer une influence significative sur ses décisions. Une seconde question tient à l'identification des raisons pour lesquelles la certitude quant auquantumde la sanction revêt une telle importance pour les firmes. Notre hypothèse est que pour les sociétés cotées faisant appel à [...]


5. Conclusion.

Cet article montre queles entreprises peuvent accepter de renoncer à certains de leurs droits de défense pour bénéficier plus précocement d'une information robuste quant au montant de la sanction pécuniaire encourue dans les poursuites engagées au titre des règles de concurrence. L'influence de la communication financière peut être vue comme un des facteurs déterminants dans les choix des firmes d'opter pour de telles décisions traduisant un comportement qu'il pourrait être possible de qualifier derisquophobe. Il serait également possible de resituer le comportement des opérateurs économiques, notamment s'il s'agit d'anciens monopoles historiques, à l'image d'Orange, dans la perspective d'un jeu répété. En effet, en raison du fonctionnement des règles de concurrence européenne (notion de responsabilité particulière de l'opérateur dominant) et de par leur position de marché (ultra-dominance relativement pérenne liée à de faibles taux dechurndes clients (i.e. taux de changement d'opérateur) et contrôle de facilités essentielles), ces derniers risquent fort d'être régulièrement la cible de procédures concurrentielles. L'attractivité de la procédure de transaction apparaissant au regard de la situation propre de certains opérateurs économiques, il n'en demeure pas moins que plusieurs questions demeurent encore ouvertes. Une première porte sur la mise en Å“uvre de la transaction sur l'article 101, une seconde sur le degré d'incertitude prévalant dans cette procédure. En effet, notre analyse ne porte que sur les abus de position dominante (102 TFUE) et pourrait être étendue à l'article 101. Dès lors, d'autres problèmes pourraient être envisagés dans le cadre de futurs travaux, notamment l'interaction entre la nouvelle procédure de transaction et la clémence de second rang. La loi Macron a pour effet de renforcer son [...]


NOTE